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AU SEIGNEUR DE CARNAVALET
Ma promesse ne veut pas
Que ton nom tumbe la bas
Orphelin du vrai honneur,
Ne sans avoir connoissance
Combien Ronsard à puissance,
Et dequoi il est donneur.
Muses filles de ce Dieu
Par qui la foudre est lancée,
Venéz moi dire en quel lieu
Il est peint dans ma pensée:
En oubli je l’avoi mis
Laissant glisser la memoire
Qu’autresfois je lui promis
Verser au monde sa gloire:
Mais de main heureuse et forte
Chassez l’injure, de sorte
Qu’il voie parfaitement,
Que nulle mortelle chose
Ferme ne fut onques close
Sous l’huis de l’entendement.
Le tens venant de bien loin
M’a blasmé comme témoin
Du paiment de mon devoir,
Mais au pis aler l’usure
Raclera toute l’injure
Que j’en pourroi recevoir:
C’est un travail de bon heur
Chanter les hommes louables,
Et leur bastir un honneur
Seul vainqueur des ans muables.
Le marbre, ou l’airain vétu
D’un labeur vif par l’enclume,
N’animent pas la vertu
Comme je fai par ma plume:
Ores donq’ ta renommée
Voira les cieus, animée
Par le labeur de mes dois:
Telle durable richesse
Sur la Roiale largesse
Heureuse estimer tu dois.
Quelle louange premiere
T’ardera par l’univers,
Flamboiant en la lumiere
Que degorgeront mes vers?
Dirai-je l’experience
Que tu as en la sçience,
Ou ta main qui sçait l’adresse
De façonner la jeunesse
L’acheminant à bon train,
Ou ton art qui ammonneste
L’esprit de la fiere beste
Se rendre docile au frain?
Qu’aporta du ciel Pallas
Au beau Bellerophon las
De vouloir en vain donter
Le fils ailé de Meduse,
Qui en regimbant refuse
Le soufrir sur lui monter:
Quand la nuit il entendit
Pallas des soudars la guide,
Dont le hault cri lui à dit
Dors-tu la race aiolide?
Pren le secours de tés maus
Cette medecine douce,
Laquelle des fiers chevaus
Le gros courage repousse,
Lui qui soudain se reveille
De voir le frain s’emerveille,
Et le prenant la caché,
Dans l’opiniatre bouche
Du cheval, non plus farouche
L’aiant un petit maché.
Lors le joignant de plus pres
Osa tanter l’air apres
Monté sur le dos volant,
Et se jouant en ses armes
Fist de merveilleus alarmes
Devoutant l’arc violant:
La puante ame il embla
De la Chimere à trois formes,
Et le col lui dessembla
Hors de ses testes difformes,
a terre morte il rua
Des guerrières la vaillance,
Mais quel mechef le tua
Je le passe sous silence:
Les Craiches des Dieus receurent
Le cheval qu’els’ apperceurent
Culbuter son maistre a bas.
L’homme qui veut entreprendre
Tanter les cieus doit apprendre
A s’élever par compas.
Automedon, ne Stenelle
Dont la longue antiquité
Chante la gloire eternelle
La tienne n’ont merité:
Ou soit pour rendre docile
L’ardant cheval dificile,
Ou soit pour le faire adestre
A la gauche et à la destre
Obeissant à tes lois,
Afin que par ta conduite
Il puisse tourner en fuite
Le camp ennemi des Rois.
Tes vieus aieus maternels
Et tes oncles paternels
Divers champs ont habité:
Mais toi seul qui leur succedes
Des deus tu tiens et possedes
Les biens qu’ils ont herité.
Quand la bize vient facher
La proue qu’el’ soufle et vire,
Alors il fait bon lacher
Deus ancres de son navire.
La France te va louant
Pour son fils, et la Bretaigne
De t’aller sien avouant
Si grand honneur ne dedaigne:
Mais tu és fils legitime
De la vertu qui t’estime
T’ornant de ses dons divers,
Pour ce-la ma douce corde
Parlant ta gloire s’accorde
Avecq’ le son de mes vers.
Lesquels en douceur parfaits
apparoistre ce sont faits
Sur le rivage du Loir,
Consacrans à la memoire
Les vertueus, qui leur gloire
Ne mettent en nonchaloir.
Comme le fils qu’un pere à
De sa fame en sa vieillesse,
Ainsi mon chant te plaira
Bien que tard je te le laisse.
Le mourant n’a tant d’ennui
Lachant sa richesse exquise
Aus etrangers, qui de lui
Raviront la chose aquise,
Comme celui qui devale
Dedans la barque infernale
De mes hinnes devétu:
En vain l’on travaille au monde
Si la lirique faconde
Fait muéte la vertu.
Mais la mienne emmiellée
Qui sçait les lois de mon doi,
Aveq’ les flutes meslée
Chassera l’oubli de toi.
Les neuf divines Pucelles
Gardent la gloire chez elles,
Et mon luc quels ont fait éstre
De leurs secrés le grand prestre,
Bruiant un chant solennel,
Epandra de sus ta face
Le dous sucre de sa grace,
Dont le gout semble eternel.
(Livre IV - Ode 18)
À sa Muse
Plus dur que fer, j’ai fini mon ouvrage,
Que l’an dispost à demener les pas,
Ne l’eau rongearde ou des freres la rage
L’injuriant ne ruront point à bas:
Quand ce viendra que mon dernier trespas
M’asouspira d’un somme dur: à l’heure
Sous le tumbeau tout Ronsard n’ira pas
Restant de lui la part qui est meilleure.
Tousjours tousjours, sans que jamais je meure
Je volerai tout vif par l’univers,
Eternizant les champs ou je demeure
De mon renom engressés et couvers:
Pour avoir joint les deus harpeurs divers
Au dous babil de ma lire d’ivoire,
Se connoissans Vandomois par mes vers.
Sus donque Muse emporte au ciel la gloire
Que j’ai gaignée annonçant la victoire
Dont à bon droit je me voi jouissant,
Et de ton fils consacre la memoire
Serrant son front d’un laurier verdissant.
Закончен труд, прочней и тверже стали,
Его ни год, чей быстр и легок шаг,
Ни алчность вод, ни яд, томимый в жале
Твоих друзей стереть не властны в прах.
В последний раз сомкнет мои ресницы,
Ронсар не весь уйдет в могильный мрак,
Часть лучшая для жизни сохранится.
Всегда, всегда, отвергнув прах гробницы,
Летать над миром я готов,
И славить дол, где жизнь моя продлится,
Где лавр венчал мой жребий для веков
За то, что слил я песни двух певцов
В мелодиях элефантинной лиры
И их привел в Вандом как земляков.
Ну, Муза, в путь – ввысь вознеси, к эфиру,
Победный клич, всему поведай миру
Про мой триумф – награду жизни всей,
Дай мне надеть бессмертия порфиру
И лаврами чело мое увей.
(перевод А. Парина).
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РОНСАР Пьер де (Ronsard Pierre de) (1524-1585), французский поэт, глава «Плеяды». В сборниках «Оды» (1550-52), «Гимны» (1555-56), «Сонеты к Елене» (1578) выражены гуманистические идеалы Возрождения. Трактат «Краткое изложение поэтического искусства» (1565).
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